Un missionnaire libanais, formateur de ses Frères… pour la Mission

Publié le par Père Patrice Sabater

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Abdo, peux-tu te présenter ?
Je suis né au Mont Liban, dans un village qui s’appelle M’Tollé (800 mètres d’altitude), au sud Liban. Je suis l’aîné d’une famille de cinq enfants. Je suis Maronite. Deux de mes frères sont prêtres : un prêtre diocésain maronite marié et un moine de l’Ordre libanais maronite.
Peux-tu nous dire comment tu relis ta vocation dans la famille de saint Vincent-de-Paul ? Quelles en sont les grandes étapes ?
Dans mon village, j’ai été à l’école des Filles de la Charité. J’ai pratiquement été élevé dans l’église du village puisque mes parents étaient très engagés dans la paroisse. Petit j’étais enfant de Chœur. Je me souviens qu’avant de dormir nous nous mettions à genoux pour dire le Chapelet au Sacré Cœur de Jésus ou au Sacré Cœur de Marie avec les litanies correspondantes.
La vie à la campagne me plaisait beaucoup… Notre maison était de pierre et d’argile. Il y avait des plantes qui y poussaient dessus. On attendait toujours la neige pour ne pas aller à l’école… Les meilleurs jours de l’enfance !!!
Ma vocation est  donc née aux alentours de 10 ans chez les Filles de la Charité. Une fois, Sœur Edma dit à mon père : « Est-ce que Abdo a pensé à être prêtre ? ». Mon père a aimé l’idée. J’ai répondu « oui ». Je finissais, à l’époque, le cycle de l’Ecole Primaire. Je voyais les prêtres vivre, mais je ne sais pas ce que je comprenais exactement de leur engagement à cet âge-là ! Mon cousin, qui avait deux ans de plus que moi, a accepté d’aller aussi au petit Séminaire. Au moment de s’engager, au cours de l’été 1979, mon cousin a renoncé à cette idée. Sœur Edma, Afaf une enseignante (responsable de la discipline), et mon père m’ont accompagné à la colonie de vacances organisée par le Petit Séminaire à Dar Es Sawan (Maison encore aujourd’hui tenue par les Pères Lazaristes). J’ai vomis deux fois en voiture avant d’arriver à destination. Pendant qu’on attendait le retour des séminaristes d’Antoura (ils suivaient les cours sous la direction du Père Pierre Farah, cm), je me baladais avec mon père… Je lui promettais que je ne rendrai plus au retour, tout en oubliant que je devais rester là ! Quinze ans plus tard, j’ai été ordonné à 26 ans dans la même cour où j’avais pleuré la première fois en attendant avec mon père les jeunes séminaristes du Petit Séminaire. Emouvant, n’est-ce pas ?
Quel est ton parcours depuis que tu es rentré dans la Congrégation ? Quelles ont été tes différentes missions ?
J’ai fait le Séminaire Interne en 1987-1988, et puis je suis parti à Piacenza (Italie) pour y continuer les études de théologie. Ensuite, en 1994, j’ai été ordonné prêtre à Dar es Sawan et nommé Responsable du Petit Séminaire à Mejdlaya.
A partir de 1991, le Père Général envoya des Lettres demandant des missionnaires volontaires de la Congrégation pour soutenir des Missions dans le Monde ; et pour en ouvrir des nouvelles dans le Monde entier. A cette époque, je pensais réaliser mon ministère comme prêtre maronite marié… La Lettre du Père Général et les visites des missionnaires italiens qui venaient d’Amérique Latine et d’Afrique raconter leur expérience au séminaire. Mon cœur s’est enflammé petit à petit pour les Missions Ad Gentes. C’est cela qui m’a permis de continuer dans la Congrégation et non plus désirer être prêtre maronite marié ! Après trois ans et demi d’ordination, j’ai fait une demande pour rejoindre les Missions Ad Gentes auprès du Supérieur Général, Robert Maloney. La réponse m’a rejoint à Rome où je suivais, avec un autre jeune prêtre, à la Grégorienne une formation pour les futurs Formateurs. Cette nouvelle a été pour moi une grande joie ; beaucoup moins partagée par mon Visiteur, ma maman et ma famille !!! Le Père Général m’avait donné à choisir entre le Mozambique, l’Equateur et la Bolivie. J’ai choisi la Bolivie… J’y étais envoyé comme formateur, rejoignant ainsi mes confrères : deux mexicain et deux polonais. L’idée : accueillir des jeunes ayant terminés leur Service Militaire et leurs études Secondaires. Après deux ans de discernement ont les envoyait au Chili pour suivre leur cheminement vocationnel dans la Province Lazariste. Pendant ces 11 années j’ai été successivement à El Alto, à Italaque et Mocomoco – à  la campagne, puis à La Paz) engagé dans la formation des nôtres. J’y ai passé une Licence en Psychologie. Le premier fruit de ce travail, ce fut en octobre 2011, quand l’un des premiers jeunes envoyés au Chili a été ordonné Prêtre de la Mission… un Aymara !!! J’y avais été envoyé pour cinq ans et j’y suis resté onze ans…
Le 15 décembre 2009, je suis revenu au Liban à la demande du Supérieur Général pour me préparer à rejoindre une autre Mission. Mais j’ai préféré rester au Liban pour travailler dans ma Province d’origine avant de repartir, un jour, là où le Seigneur me conduira.
Aujourd’hui, tu es responsable de « l’Accueil des Postulants » et du Scholasticat de la Province à la Maison de Mejdlaya. Explique-nous en quoi cela consiste ?
La première année, j’ai été Directeur du Noviciat ; ce que l’on appelle en jargon lazariste le « Séminaire Interne ». Cette année, j’ai pris en charge l’Accueil des Postulants (Temps préparatoire à l’entrée dans la Congrégation). Cette période nous permet de connaître les candidats d’une part ; et d’autre part, cela permet aux jeunes de se familiariser avec nous et de poursuivre leur cheminement vocationnel. Cette année ils sont au nombre de quatre. Je suis responsable, également, des Etudiants qui se forment pour la Mission.
Comment penses-tu que Monsieur Vincent regarderait le monde d’aujourd’hui ?
Il ne changerait pas de regard. Monsieur Vincent avec son regard pénétrant avec lequel il regardait le monde de son Temps, il ferait exactement les mêmes choses ! Il le ferait avec toute la modernité, il développerait un regard d’un homme moderne capable de voir au-delà des choses la Pauvreté d’aujourd’hui. Je le vois plongé dans notre Société avec peu de réserve, sans peur, sans préjugé, sans frontières ; spécialement les frontières religieuses qui nous limitent aujourd’hui avec les musulmans – par exemple. Il aurait beaucoup de peine devant son impuissance devant les grandes puissances politiques et économiques dans le Monde. Peut-être il aurait compris ou changé son avis à propos de la Volonté de Dieu qui se manifeste au travers des grands intérêts d’Etat. Il aurait, peut-être, augmenté le temps de la prière pour pouvoir affronter les défis de nos jours.
Quelle espérance porte ton regard de Lazariste libanais ?Abdo.jpg
C’est récemment ce que le Pape Benoît XVI a écrit sur la rencontre avec Jésus-Christ qui touche la vie du cœur humain. L’Eglise commence à se rendre compte qu’il y a quelque chose qui manque pour être de vrais chrétiens. Je sens que l’Eglise doit se convaincre qu’elle n’est plus puissante ! Ce n’est plus le temps du triomphalisme. A mon point de vue, il me semble que Seigneur souhaite une Eglise plus humble, plus servante. Ici, et partout dans le monde, on ne parle que du nombre de baptisés dans l’Eglise Catholique, et on se vante quand le nombre augmente et on s’effraie quand il diminue. Cela me gêne un peu… On a oublié que c’est le sang des martyrs qui fait croître l’Eglise, et non le nombre des baptisés. On oublie assez souvent ce que le Seigneur nous a promis : beaucoup de persécutions pour ceux qui le suivent. Ici, les chrétiens se croient croyant et on ne l’est pas. On se vante d’avoir Sainte Rafka, Saint Charbel… Ce n’est pas suffisant d’avoir des saints du passé. Pendant les temps de la guerre on est mort en martyr de la guerre, mais pas martyr au nom de Jésus-Christ ! On a créé de Jésus-Christ à l’image de chaque politicien. Chacun a son image… C’est humain peur pour sa propre vie, mais ce n’est pas chrétien de perdre l’espérance ! Nous, nous avons perdu cette espérance et on a toujours recours aux forces étrangères américaines ou européennes pour nous donner de l’espoir. On a oublié que c’est en Dieu seul qu’on peut trouver un sens à notre présence au Moyen-Orient. Il ne faut faire le même cheminement que les moines du film : « Des hommes et des dieux ». C’est un cheminement de conversion. Se rendre conscient de ce que l’on a choisi lorsque l’on dit que nous sommes « chrétiens ». C’est cette conscience qui manque chez nous ! On est devenu une « tribu de chrétiens » que l’on veut défendre, mais au fond on a oublié le sens de l’appartenance à cette « tribu ».
Celui qui gère l’Histoire, qui est le Père de l’Histoire, va continuer à prendre soin de ses enfants. Il donne la liberté à chacun d’entre nous. Il sera toujours présent pour préserver leurs pas. C’est la seule espérance que j’ai pour les chrétiens, pour l’Eglise, pour les Eglises orientales. Le Seul fidèle sera fidèle pour toujours.

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